Mardi 1er octobre
Journée du dimanche câlin à souhait. L'après-midi, petite promenade dans les beaux quartiers de Paris, nid de ceux qui sont nés « d'une famille qui n'a jamais souffert » pour reprendre le clin d'œil des Inconnus, les trois lascars irrévérencieux du moment. La Kate au vent, que je retiens par la taille, nous déambulons dans des rues désertes et boisées. Petit tour en bateau-mouche pour voir le vieux Paris depuis la Seine, pas très saine au demeurant. Rien à redire sur notre osmose.
Le soir, sans doute excédée par tant de bonheur, Kate retrouve son individualisme du moi-j'existe, moi-je-pense dans une opinion d'une idiotie fracassante : avec une soudaine agressivité, elle m’affirme que pour aimer l'opéra il faut être cultivé. J'essaie de la ramener à la raison, mais elle en rajoute. Eclats de voix, grande gueule contre grande gueule, nous brisons là l'acquis fragile d'une gentille journée. D'un organe vocal plus grave et plus puissant, je lui gronde ma façon de penser. Elle avoue qu’elle me trouve intolérant, je lui précise que je n’ai jamais prétendu le contraire. Révolté par son attitude, je vais dormir dans la pièce d'à côté. Il lui faudra jouer au désespoir un long moment avant que je rejoigne le lit commun.
Lundi début d'après-midi. Je file porter au pied noir Panard de la BPRNP le prévisionnel pour la seru qu'il attend. Je l'aperçois à son bureau : il me fait signe d'entrer. Prenant l'œil du banquier qui vient d'en apprendre une pas piquée des hannetons : il m'informe que je suis interdit bancaire suite à un incident de paiement fin septembre, que je ne devrais même pas être gérant, et tout le bazar. Il fait mine d'être ennuyé. La terre explose dans ma tête. Quelle est cette nouvelle manigance ? Je lui affirme que cela est impossible. Ma banque étant fermée le lundi, je repars brisé, furieux et angoissé. Le matin, à ma banque, à la Banque de France, soulagement général : aucun problème. Reste à comprendre pourquoi le pied noir a mal été informé, à moins qu'il ait inventé ce biais pour refuser notre dossier.
Me voilà de retour vers le château : ce contretemps doit être résorbé dans ses conséquences. Et dire que demain je vais aller me faire chier chez les militaires, pour ma journée d'aptitude à la con.
Mercredi 2 octobre
Horreur de journée au Fort neuf de Vincennes. Arrivée à 12h30. Tout ce que j'avais pu imaginer s'y trouve : des baraquements immenses et déshumanisés, un kapo tête de con, des appelés qui rivalisent dans la mâlification abêtissante. Immédiatement, nous sommes soumis à une uniformisation dégradante qui fait de nous des numéros. Petite visite médicale : en chaussettes, slip et chemise je pisse dans un petit récipient pour que l'on y trouve d'éventuelles traces de toxines, de sang ou autre ; mesures de la taille et du poids ; petite inspection dentaire. Nous passons ensuite quelques tests de logique dans différents domaines. Toujours l'impression d'être dans un autre monde où règne l'ordre à la Patimbert (cf. Karl Zéro dans Nulle Part Ailleurs).
J'apprends ce matin que le Parlement a adopté un texte prévoyant la réduction du service national à dix mois au lieu de douze. Certains partis de droite, tel le RPR, serait même en faveur de la suppression de ce service au bénéfice de la seule armée de métier. La Guerre du Golfe aura eu le mérite de démontrer, dans notre camp tout du moins, l'inutilité de la chair à canon. Le temps de la baïonnette et de la fleur au fusil semble révolu.
Jeudi 3 octobre
Exempté ! Même pas le temps de jouer au suicidaire que déjà je suis en possession du papier vert proposant mon inaptitude. La lumière de mes yeux ne leur plaît pas. Myopie à la limite du taux d'exemption automatique : le médecin militaire me demande d'un air entendu si je tiens vraiment à faire mon service. Je lui réponds sur le même ton que je comprends qu'il faille le faire, précisant que cela m’ennuierait tout de même du fait de ma gérance de société. Le petit coup de pouce me libère de cette enfer. Comme quoi une petite infirmité physique peut parfois nous aider à éviter une grosse infirmité morale.
Je rencontre dans le métro un des quarante-quatre appelés du groupe où j'étais. Exempté lui aussi, m'avoue-t-il avec un grand sourire. Violoniste à Londres, il a dû prendre l'avion spécialement pour répondre à sa convocation. L'armée n'a que foutre de l'emploi du temps et des responsabilités de ceux qu'elle veut phagocyter. Lui n'a pas eu ma facilité : il a simulé le suicidaire. Il m'explique son angoisse lorsqu'il a appris que Le Parisien libéré avait sorti ce matin un article critiquant les psychiatres du Fort neuf de Vincennes pour leur penchant à l'exemption facile. Le « serrez-les-rangs » est de rigueur aujourd'hui. Nous nous en sommes tout de même sortis.
Ce passage chez les Kakis-Rangers m'aura fait travailler les méninges sur cet Etat dans l'Etat où tout semblant d'humanité et d'indépendance est traité comme de l'insoumission. Les gars ne branlent rien dans ces grands bâtiments, mais savent au poil rouler des épaules de boucher et faire claquer leurs godasses pour impressionner le bleu. Misérable bouffonnerie que de voir le major Truc-Machin faire le clown dans sa fonction d'autorité, où il nageait comme un nourrisson dans un slip de grand-père.
Malheur dans la famille de Kate : sa marraine (la mère de sa petite cousine Sarah) est sur le point de rendre l'âme. Un infarctus puis un coma ont fait de cette pauvre dame une morte vivante. Kate s'angoissait au téléphone sur la mort qui emporte tout un chacun : fauche foudroyante ou progressive par la maladie ou la décrépitude, la camarde a toujours raison.
Vendredi 4 octobre
Fin de semaine en trombe. Après trois aller-retour Chaulnes-Paris en cinq jours, je libère pour ces dernières heures le surplus d'énergie en réserve pour régler les problèmes au fur et à mesure qu'ils se présentent à moi.
Samedi 5 octobre
A la rencontre de Kate, qui s'est encore une fois fait sermonner par ses parents : ils n'apprécient pas qu'elle passe la nuit avec moi. Jalousie augmentée du problème actuel et dramatique dans leur famille (état grave de la marraine qui n'a plus que six de tension) débouchent sur un climat de reproche à notre endroit. Bientôt 25 ans et Kate est toujours ressentie comme une petite fille, avec nattes et hymen. Touchant, mais ça n'arrange pas notre relation amoureuse, déjà suffisamment éparpillée.
Lundi 7 octobre
Depuis ce saint dimanche, 22 ans marquent mes gencives.
Week-end avec Kate. Tenant à la transparence et à la franchise dans nos rapports, je lui fais un petit discours sur les défauts de notre intimité. Quand j'ai rencontré Kate, elle s'était auto-suggérée sa frigidité, revanche à prendre envers la gent masculine. Moi, tout beau tout nouveau, je ne peux concevoir ce blocage comme sa nature définitive. C'est à contre-courant de ce qui se dégage de chacune de ses fibres. La psycho-morphologie s'illustre là dans l’incompatibilité entre une sensualité débordante et un refus de la jouissance. Moi, puceau de première classe, je me défie de lui faire renouer avec ses tendances originelles. Patience de tous les instants, désir inaltérable, amour démultiplié, je mène ma croisade sans abandonner une once de foi.
Les résultats ne se font attendre que quelques semaines : Kate jouit par mon sexe. L'inhibition vole en éclats. Mes besoins n'ont jamais été réellement soulagés. Kate aurait dû combler chacun de mes désirs. L'habitude de l'égoïsme absolu lui fait malheureusement se contenter de prendre son plaisir d'une manière exubérante. Ma passion fait le reste. J'explique gentiment à Kate qu'il faut qu'elle modifie son approche de l'amour, qu'elle y prenne goût et s'y active de tout son saoul, sous peine de me perdre. Aucune agressivité de ma part. Je crois avoir fait prendre conscience à Kate des devoirs qu'impose une relation sexuelle, ce qui décuple au bout du compte notre plaisir. C'est en tout cas ce que la fin du week-end me donne comme impression. Si tout évolue normalement, j'aurais à coup sûr chez Kate un penchant brûlant pour l'amour et un bonheur sexuel sans point mort.
Tapie ne m'évoque, lui, rien d'excitant. Passage chez la compagne d'Ivan Levaï, la butyreuse Sinclair. Engraissé par son instinct capitaliste, l’homme fait joujou depuis quelques temps avec la politique. Le pays se réserve encore d’amères désillusions. Alors que sang neuf et gueules nouvelles étaient attendus, on doit se contenter de cette bête de scène médiatisée. On peut se demander s’il est aussi doué pour la chose publique que B.-H.L. pour la philosophie. Exit les escrocs de la vie. Au panier leurs salades !
Habillée en noir, Kate part ce soir rejoindre sa marraine, partager ses derniers instants. Les médecins ont fixé le compte à rebours. La hideuse camarde guette. A pas encore quarante ans, la maman d'une petite fille de seize ans va s'éteindre. Horrible.
Mercredi 9 octobre
Kate au téléphone. Elle ne partira certainement que ce week-end voir sa marraine, l'état s'étant stabilisé. Douce comme tout dans sa voix, elle pense fort à moi. Je regrette son départ de fin de semaine, mais je comprends les impératifs.
Bientôt sept mois que je connais Kate, mais je ne l'ai encore présentée à personne. Aucune volonté chez moi de la cacher, mais il est vrai que les rares instants passés en sa compagnie, je préfère les vivre dans une intimité duale.
Les cours magistraux ont commencé depuis lundi à la Sorbonne. Inutile et impossible pour moi d'y assister. Je me contenterai largement des ouvrages.
Ce soir, vu sur la Cinq, un reportage d'investigation judiciaire de Daniel Karlin, sorte de chamalow frisotté. Document de parti-pris clamant, preuves et témoignages troublants à l'appui, l'innocence de Mohamed Chara, condamné à perpétuité pour crime d'enfant, et en prison depuis quatorze ans. Le débat qui suivit montra les limites à l’échange constructif entre la flopée d'avocats, Karlin, son complice et un président de je ne sais plus quelle cour. Les contradicteurs perdirent de vue le concret pour s’affaler dans le sentimentalisme hystérique et le juridisme à œillères.
La vie professionnelle suit son cours.
Jeudi 10 octobre
La marraine résiste : tant mieux pour Kate et sa famille.
Mon travail se décuple sur tous les plans. Entre les recherches de brocheurs, papetiers, cat (centre d’aide par le travail) pour l'encartage, d’une jeune maquettiste diplômée, d’une collaboratrice au service promotion, les contacts pour divers rendez-vous et les formalités administratives ou assimilées : la gestion approfondie me paraît tout à fait dépourvue de charme.
Je ne dois pas oublier mes maîtrises de droit. Le soir, au calme, un bon oreiller sous le tête, je lirai livres et cours prêtés. Je commence dès ce soir avec le polycopié du professeur Rodier sur le Droit social international et européen. Que de jouissances en perspective. A côté de ce grand œuvre, mon esprit encombré trouve le moyen de s'arrêter quelques instants pour zieuter un reportage sur la Biosphère 2, immense construction de verre où les éléments de la vie ont été reconstitués, depuis l'océan jusqu'au désert. Cette macro-serre accueille quatre hommes et quatre femmes qui y resteront deux ans sans en sortir. Enorme boulot de maintenance et de surveillance. Rigueur, morale, courage et sens de l’intérêt commun. Baise et disputes doivent se faire discrets.
Samedi 12 octobre
Semaine à grande vitesse. Les jours prochains n'appellent pas à la détente : des rendez-vous à en attraper une misanthropie aiguë ; l'urssaf, Cancras et Carbalas (comme dit la chanson) qui n'attendent que mes sous-sous ; des matières de droit à assimiler, entre autres choses.
L'URSS a foutu son KGB en l'air. L'ordre des grands imperméables aux gueules émaciées a été jugé démodé par le grand foutoir transparent. Ne doutons pas qu'un organisme moins apparent, mais beaucoup plus pernicieux, prendra sa place.
Libéral ou dictatorial, un régime est toujours instauré ou récupéré par des hommes qui recherchent le pouvoir pour servir une part de leurs intérêts.
Obèse, parangon de la vulgarité, rigolote parfois par son outrance, évoquant une sorte de mère Denis puissance dix, la Jackie Sardou débarque chez Sabatier. Jean Lefebvre, chenu comédien du comique, invité comme vieil ami de la grosse, avoue avoir une certaine affection pour le phénomène : il se voit répondre tout de go « t'aurais du m'sauter 'y a dix ans ». Il y a dix ans, l'onde de choc aurait été formidable, le scandale national ; aujourd'hui, le glups ne se perçoit même plus. Les coincés ont perdu leur piédestal alors que les dévergondés se multiplient avec une jouissance absolue.
Dimanche 13 octobre
Tournée chez les parents. Hier soir, dîner chez mon père, dans son appartement. A quarante deux ans, il vit l'amour parfait avec une jeune fille dans la vingtaine. Trois ans que ça dure et aucun signe de lassitude. De là à envisager la conception d'un enfant, il n'y a qu'un coup de rein. Quelles que soient les qualités maternelles d'Anna, je ne parierai pas un rouble sur la capacité de mon père à élever un enfant. Ses trois progénitures sont là pour en témoigner. Excellent dans la prestation éphémère, parfait pour la conversation, idéal pour la chaleur de l’ambiance, je l'imagine mal en reprendre pour vingt ans de service familial.
Sa situation de père est « globalement positive » nous dirait sans doute l'ineffable Marchais. On connaît la fiabilité des vues du grand chantre égrotant de l’un des derniers partis communistes du monde.
[Je dois reconnaître que le temps m'a donné tort, et j'en suis très heureux (18.02.2006) :]
A midi je déjeune chez ma maman. Malgré ses innombrables défauts, son sens maternel ne s'est jamais émoussé. On ne peut lui dénier d'avoir toujours affronté les devoirs quotidiens pour assurer la survie de ses enfants, même si le sordide a atteint parfois des taux dangereux pour l'intégrité humaine.
Gentil repas avec maman et mon frère Jim. Calme retrouvé depuis que le brother Bruce s'en est retourné vers son foyer d'accueil. Sa crise de foi l'abandonne petit à petit. Aurait-il fait le tour de la question religieuse, se serait-il lassé des contraintes ? Son parcours chaotique agrémenté du merde-on-tourne-en-rond assombrit d'année en année son avenir. A moins qu'un miracle...
De retour vers Paris. Tout à coup, une grande vitre du wagon où je suis vole en éclats. Par chance personne n’est assis à cet endroit. Le contrôleur qui vient constater les dégâts nous informe du nouveau passe-temps des trous du cul banlieusards : viser les glaces avec des pierres, quand ce ne sont pas des carabines qui leur permettent ces destructions, au risque de trouer la peau d'un passager. Des commandos punitifs seraient les bienvenus dans cette société libérale.
La société démocratique a toléré les terreurs locales, ignoré la décrépitude du paysage, encouragé la tolérance merdeuse envers ceux qui vous poignardent par derrière. Le Pote système a dignement remplacé le tendez-la-joue-gauche de l'humiliant catholicisme. Tôt ou tard les choses exploseront.
Lundi 14 octobre
TF1 fait mousser son audimat sur le cadavre de Barbie. Le testament du feu nazi, lu par le journaliste Ladislas de Hoyos (pas Ignace de Loyola, les gars !) accuse les époux Aubrac d'avoir trahi Jean Moulin.
Quelques moments à l'échappée, avec Kate qui m'avoue me trouver moins gentil depuis deux mois. Peut-être les soucis ne me rendent-ils pas très sociable, parfois même d'une intolérance irritable. Je vais essayer d'être plus attentif, elle se surveillant pour ne pas m'agacer.
Aujourd'hui, lors d'une courte entrevue, nous avons libéré notre sauvagerie pour une jouissance commune. Infernal comme un corps voluptueux, tout en rondeurs et en finesse vous saoulent aux abysses. Rien que d'y songer... Encore un petit effort et nous serons de vrais obsédés.
Mardi 15 octobre
Vu hier la nouvelle émission du journaliste Guillaume Durand avec pour thème une question choc : faut-il dialoguer avec le Front national ? Comme dans le Parlement anglais, les deux camps se font face et s'affrontent sans merci. Côté gauchisants : un petit groupe d'excités, Luis Rego, hargneux et saoul, Isaak de Bankolé, comédien trop grotesque pour être vraiment conscient [...].
Côté FN : le soporifique Mégret, presque aussi chiant que le commissaire du même son ; Lang, l'aryen dégarni, à ne pas confondre - il faudrait avoir l’à-propos d'une Chantal Goya pour y parvenir - avec le chevelu du même nom, et beaucoup d'autres... Très révélateur sur les deux camps : le puissant racisme des gauchards qui se drapent de leurs droits de l'homme à la moindre suspicion à leur endroit ; les nationalistes propres sur eux, comme des orphelins sans leur talentueux bateleur Le Pen.
Mercredi 16 octobre
Peu de temps à consacrer à ce Journal.
Autre critique pour ce soir : mon travail me fait parfois perdre pied et oublier l'essentiel de ce que l'on me raconte. Il faut que je prenne quelque hauteur et que j'apprenne mon métier avec modestie.
Samedi 19 octobre
Masse de travail énorme et défauts à faire disparaître. J'ai à apprendre de tous les côtés : faire un bon gestionnaire, mener de bonnes négociations, écrire de bons courriers aux fournisseurs dont on se plaint et écouter, surtout écouter et retenir ce que l'on me dit. La vie pépère de l'esprit qui travaille dans la linéarité, c'est terminé.
Kate tous les jours au téléphone : petit cœur très gentil. Je vais essayer de rendre plus paisibles nos rapports, de moins chercher la perfection. Sans abandonner mes principes fondamentaux, bornes salvatrices, je veux détendre notre relation pour vivre quelque chose de doux.
Ma 'tite Kate me manque. Elle part ce week-end en Dordogne pour visiter sa marraine mourante. Triste atmosphère, elle aura besoin de beaucoup de tendresse lundi. Occupé comme je le serai, ce sera de l'attention furtive.
La gent fiscqueuse nous emmerde.
Dimanche 20 octobre
8h30. Entre les mains de la sncf depuis ce matin 7h31. Petite angoisse du fond des âges après le grave accident de trains en gare de Melun qui envoya sous terre plus de vingt voyageurs.
Cet après-midi, passage à la BN (Bibliothèque nationale), lieu de travail principal, lorsque j'étais assistant littéraire dans l'association r.u., à l'occasion de la Fureur de lire, manifestation annuelle de deux jours où l'écrit est à l'honneur. Notre maison d'édition ne pouvait manquer le coche. Le stand alloué, truffé d'ouvrages de Monographies des villes et villages de France, suscite beaucoup de curiosité. Très gratifiant de constater l'intérêt porté à notre titanesque travail.
Ignominie des fiscqueux. Pour parvenir à leur fin (détruire ce qu'on a construit) ils emploient d'ignobles procédés.
Kate en Dordogne. Elle rend une dernière visite à sa marraine et va réconforter sa petite cousine. Atmosphère de deuil qui contribuera au mauvais état psychologique de ma Vénus adorée.
Lundi 21 octobre
Fureur de lire. Venu pour rafler systématiquement les catalogues des maisons d'édition représentées, j'ai préféré rester à notre stand pour apprécier l'impact de la collection Monographies des villes et villages de France sur le public. Très encourageant d'observer l'enthousiasme d'une vieille dame, l'émotion d'une bibliothécaire rageant de ne pas être pleine aux as, pour tout nous acheter, l'arrêt brusque d'une jeune fille qui a repéré en passant le livre de sa région ou de sa localité, les grands sourires lorsqu'on leur propose notre catalogue général, etc.
Cela revigore un max pour mieux affronter l’engeance fiscqueuse.
Mardi 22 octobre
Oublié de noter la délicieuse anecdote dont je fus le maître d'œuvre à la Fureur de lire. Tout à ma tâche, je réponds aux questions des curieux, explique nos objectifs, et distribue les catalogues généraux à qui fait mine de s'intéresser. L'attroupement prend parfois des allures de cohue passionnée. Un monsieur âgé, tenant sa compagne par l'épaule, s'approche de notre stand et me tend une main à la vigueur sénile. Comme un seul homme, j'y glisse un catalogue. Le vieil homme s'éloigne d'un pas pressé, après avoir lâché un merci de mauvais cœur. Pris d'un doute sur son identité, je questionne Maddy qui m'avoue en éclatant de rire que je viens de fourguer notre
catalogue à Le Roy Ladurie, conservateur de la BN et organisateur de la manifestation littéraire. Trop drôle. Lui qui nous avait encouragés à nos débuts, un historien bien au fait de nos publications, se voit réduit, par mon ignorance, à l'incognito lambda.
Depuis l'enthousiasme de l'historien sur notre projet débutant, des torrents ont coulé sous les ponts.
Mercredi 23 octobre
Très occupé. Peu de temps pour commencer à lire mes ouvrages de fac. Je m’efforce pourtant d’entamer ce soir un traité sur le droit de la sécurité sociale, où l'on perçoit bien le régime d'assistés qui règne en France.
Kate au téléphone. Délicieuse de douceur et de coquineries. Une tendre pensée pour elle ce soir.
Vendredi 25 octobre
La vie ménage parfois de lugubre retournement. A huit heure dix ce matin, Kate me téléphone au château : sa marraine est morte, elle ne peut se rendre au mariage de Barbara. Nous attendions ce samedi depuis des semaines, et le voilà brusquement endeuillé. La mort prochaine de la pauvre dame était certaine, mais que cela se produise la veille de cette journée d'union tient du pied-de-nez de la camarde. « La marraine est morte, vive les mariés ! », pourrais-je m’exclamer.
Amour de Kate parti en Dordogne vivre de terribles heures. La semaine dernière déjà, elle avait vu sa marraine dans le coma : la poitrine tressautant sous les vibrations d'un cœur en sur-régime, le cerveau mort, le teint blafard, le visage animé par les automatismes d'une vie (bâillements, toussotements...). Kate était revenue défaite, fragilisée. Je ne crois pas que conserver toute sa vie l'image de cette mourante, totalement inconsciente, soit la bonne manière de rendre hommage à la personne qu'on aime. Heïm nous a dit un jour : « Aimer les morts, c'est vivre pour les honorer ». Ça n'est pas avec ces protocoles morbides, en forme de traumatisme, que l'on témoigne de son attachement au mourant.
Mon travail se poursuit à cent à l'heure. Détente ce week-end à Paris. Ne voyant pas Kate, je travaillerai mon droit et taperai mon journal. Mes travaux dirigés à Paris I vont bientôt commencer. Je partagerai alors mon temps entre les études et la gestion des sociétés. Nous avons trouvé un pépère de 53 ans, qui va prendre le titre de directeur administratif et financier. Son rôle de pédagogue, à quelques années de la retraite, risque de nous servir à Alice et à moi.
Dix-neuf heures, ma Kate est sur la route avec ses parents. Je pense à elle et l'embrasse très fort.
Lundi 28 octobre
Week-end d'un repos studieux. Le fameux samedi de fête s'assombrit d'un enterrement pour Kate et du chiantissime droit fiscal des affaires pour mézigue. Après le Périgord, ma Vénus s'en est allée dans les Pyrénées rendre visite à ses grands-parents. Toute vêtue de noir, elle endeuille ses journées et ternit son moral. Moi au nord, elle au sud, France Telecom entre nous, l'amour lui redonne sa petite voix d'enfant. La grâce d'instants à l'échappée justifie notre rencontre qui doit se perpétuer. Je ne sais quel personnage est Kate au fond d'elle-même. Mes yeux l'aurait-ils déformée pour me la modeler sur mesure. Je connais le fossé qui s'impose entre sa douceur à mon égard et sa froideur parfois agressive envers le gros de sa famille. Mais où est l'authenticité ?
Connerie que ces questions. Aimons cette jeune femme aussi fort et aussi longtemps que possible.
En ce moment, scandale autour du Centre national de Transfusion sanguine qui aurait, en 1985, injecté du sang contaminé par le virus du sida à des hémophiles, alors que des techniques existaient pour stériliser le sang. Les inculpations défilent et Fabius saponifie un max avec la sincérité du Juda. Le voilà qui revendique le droit à la dignité et qui défend son honneur (c'est lui qui avait répondu à Chirac qui le traitait fort justement de petit roquet : « Mais enfin, vous parlez au Premier ministre de la France tout de même ! »). Et pourquoi pas le premier prix de beauté ? Le fœtus du monde politique, comme Sim peut l'être chez les saltimbanques, nourrit ses convictions de poncifs douceâtres et de colères avec petits poings en avant. Dieu Tout-Puissant, si tu existes un tant soit peu, fait que le Fafa ne pose jamais son derrière sur le trône élyséen. Fanfan le vieux nous aura suffit.
Avant d'abandonner cette écriture de nuit, témoignage gros comme un nounours de ma tendresse à Kate.
Mardi 29 octobre
Le travail se poursuit, avec ses urgences et ses recherches de fond.
Scandale du CNTS. Ce soir, une chaîne de télévision présente quelques interviews effectuées en 1985 auprès de médecins socialistes, de scientifiques socialistes et de politicards socialistes. Rassurants, ignobles d'hypocrisie, ces propos : je dirais presque criminels. Songeons un instant aux campagnes de haine injurieuse à l'encontre de Le Pen, lorsqu'il avait choisi le discours alarmiste. Si tous ces connards socialistes s'étaient mis au diapason, nous n'en serions pas là. Bravo la tolérance des potes de gauche, insidieux dans leur ostracisme direct ou indirect, dans la spoliation de leurs adversaires.
Kate fait de la broderie chez ses grands-parents. Voilà qui l’apaisera peut-être. Très amusant de l'avoir au téléphone avec sa voix de prestation. Elle débouche sans peine mon conduit auditif. Une minute de réadaptation, et sa petite voix revient caresser mes tympans. Pensée à ma tendre.
Mercredi 30 octobre
Infect sida. Vu partiellement, ce soir, une émission faisant le point sur l'état des recherches et la propagation du virus sur terre. La vie moderne et immorale de l'homme, le brassage constant et croissant des masses humaines sur tous les continents, les coups de queue dans des trous exotiques, tout cela concoure à la multiplication mortifère des cas. Des développements techniques mis à la disposition des imbéciles, et voilà le résultat. L'ignoble propagande sur le préservatif, pour conserver le confort du trempage de bite, est inacceptable étant donné le flou actuel des connaissances scientifiques. Et si demain les Montagnier and Cie nous annonçaient l'inefficacité du plastique ? Les auteurs du matraquage idéologique se dégonfleraient aussi vite que les responsables du cnts actuellement sur la sellette.
Beaucoup de travail. quelques accroches verbales avec le responsable de Sofrapli. La visite du monstrueux Podevin de l'urssaf venu, intrigué parce qu'il voyait de la lumière. Pauvre bonhomme.
Kate me manque. Elle devrait vite rentrer avant que je n’apprenne à l'oublier. (C'est de l'humour, Kate !)